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"Oui" à la Constitution européenne !
16 février 2004

A propos de "l'islamophobie"...

L'Express du 04/12/2003 Qui parle d'islamophobie? par Eric Conan

Ce terme, qui a fait son entrée dans le débat sur l'islam, est une création des militants du communautarisme. Objectif: diaboliser la laïcité en la faisant passer pour du racisme Il aura fallu peu de temps pour qu'un mot inconnu du vocabulaire français - «islamophobie» - s'impose jusqu'au sommet de l'Etat: l'Assemblée nationale a accueilli un colloque sur ce thème le 20 septembre dernier et le Premier ministre a repris l'expression lors de sa visite à la Grande Mosquée de Paris, le 17 octobre, en se déclarant inquiet «d'une certaine islamophobie qui se développe incidemment dans notre pays».

Cette création sémantique peut surprendre: l'attitude générale de la société française à l'égard de l'islam depuis une quinzaine d'années inciterait plutôt à parler d'islamophilie. C'est pour l'islam que le Conseil d'Etat a, selon sa propre expression, «renversé» le sens de la laïcité scolaire, revenant sur un texte du Front populaire prohibant les signes religieux pour autoriser le voile au nom de l' «expression des différentes fois» à l'école. C'est pour «aider l'islam à s'organiser» que l'Etat a créé le Conseil français du culte musulman (CFCM), tout en le dispensant de passer sous les fourches Caudines de la laïcité comme y furent contraints le catholicisme et le judaïsme. C'est pour aider l'islam que des municipalités financent des mosquées au mépris de la loi de 1905. Les signes de cette islamophilie sont nombreux, de ces cantines scolaires qui, par simplification, privent tous les élèves de viande de porc toute l'année, à la mairie de Paris, qui choisit la fin du ramadan pour organiser une grande fête mondaine «afin que les Parisiens de toutes religions mélangent leurs richesses».

«Cette invocation permet de faire diversion à la réapparition de l'antisémitisme»

L'«islamophobie» est en fait une invention militante. Caroline Fourest et Fiammetta Venner en retracent l'historique dans leur dernier ouvrage (Tirs croisés. La laïcité à l'épreuve des intégrismes juif, chrétien et musulman, Calmann-Lévy). C'est en 1979 que les mollahs iraniens utilisent ce terme pour stigmatiser les femmes qui refusent le voile et celles qui les soutiennent, comme la féministe américaine Kate Millett. L'invective sera reprise ensuite contre Salman Rushdie et Taslima Nasreen, et tous ceux qui s'opposent, dans les pays islamiques, au totalitarisme intégriste. Tariq Ramadan introduira le terme en France en 1998, mais il ne doit son succès récent qu'à la décision stratégique d'une partie de l'extrême gauche de s'allier avec l'islamisme au nom de la lutte commune contre l'Occident libéral.

L'invocation de l' «islamophobie» relève donc de cette «guerre des mots» décrite par George Orwell. Elle permet d'abord, selon une fausse symétrie, de faire diversion à l'apparition, depuis trois ans, d'un antisémitisme issu de l'immigration et baptisé «nouvelle judéophobie» par le spécialiste du racisme Pierre-André Taguieff. Selon le ministère de l'Intérieur, il y a eu en 2002, dans l'Hexagone, quatre fois plus d'actes de violence antisémite que d'actes de violence antimaghrébine ou anti-islamique. Pour la première fois depuis 1944, des synagogues brûlent, mais l'on ne défile plus dans les rues. Jean-Marie Le Pen a été condamné en justice pour avoir dressé des listes de journalistes juifs accusés de s'exprimer en fonction de leur origine, mais Tariq Ramadan, qui se livre au même exercice, reste la star de l'altermondialisme adoubée par José Bové et se voit invité par France 2 comme représentant de l'islam pour débattre avec le ministre de l'Intérieur.

L'autre objectif de la rhétorique de l'islamophobie consiste à diaboliser la laïcité en la faisant passer pour du racisme. Un petit livre récent (La Nouvelle Islamophobie, de Vincent Geisser, La Découverte), édité par la maison qui a pris la suite des éditions Maspero et signé d'un auteur se réclamant du CNRS, constitue un exemple de l'avancée du discours islamiste au sein de la gauche universitaire: y sont en effet dénoncés comme «musulmans islamophobes» (sic) tous ceux qui critiquent et dénoncent le sectarisme et militent en dehors du communautarisme, au PS ou à l'UMP. Sont aussi désignés comme «facilitateurs d'islamophobie» Malek Boutih, les militantes algériennes des droits de la femme en exil à Paris et même les responsables de la Grande Mosquée de Paris !

Ayant réussi cet habile renversement consistant à culpabiliser ceux qui défendent la liberté de conscience et l'égalité des sexes, les pourfendeurs de l'islamophobie cherchent aussi à bannir toute critique de l'islam. Ce qui constitue une régression préoccupante dans le pays de Voltaire et de Sade, qui garantissait jusqu'alors le droit au blasphème: l'antichristianisme fait partie de l'histoire littéraire et artistique française. Les surréalistes se sont fait remarquer du grand public en conchiant l'Eucharistie et la Croix, et, il y a quelques jours, Les Guignols de l'info, de Canal +, représentaient Jean-Paul II en épave abrutie et infestée d'asticots impatients. «Nous sommes contaminés par l'intolérance islamique», écrivait récemment Claude Lévi-Strauss, se demandant s'il pourrait encore publier Tristes Tropiques.

«Une confusion qui fait passer au second plan le racisme anti-immigré»

Les intégrismes catholique et juif ont eu, notamment à l'égard des femmes, des prétentions similaires à celles de l'intégrisme musulman. Mais ils ont été défaits depuis longtemps et soumis à la loi commune. Certaines associations traditionalistes catholiques essaient encore d'invoquer en justice un «racisme antichrétien», mais elles sont tournées en dérision par médias et magistrats. Alors que, venant d'associations musulmanes, la même démarche est considérée avec un grand sérieux, comme l'ont montré les réactions aux propos de Michel Houellebecq («La religion la plus con, c'est quand même l'islam») et de Claude Imbert («Je suis un peu islamophobe»), qui auront eu tous deux le mérite de révéler la fragilité de nos libertés publiques. C'est en effet une institution née avec la liberté de parole (la Ligue des droits de l'homme) qui a poursuivi Michel Houellebecq. Et une association laïque de gauche (le Mrap) qui a demandé la démission de Claude Imbert du Haut Conseil à l'intégration, dont les membres, ébranlés par cette progression de l'obscurantisme, ont jugé nécessaire de voter à l'unanimité une motion rappelant que, «en République, la critique de la religion, comme de toutes les convictions, est libre, est constitutionnellement garantie et fait partie de la liberté d'opinion et d'expression, et ne saurait être assimilée au racisme et à la xénophobie».

Cette confusion a pour effet de faire passer au second plan la lutte contre le racisme anti-immigré. Mais c'est parce que les islamistes poursuivent un objectif communautaire, différent de l'intégration, fondée sur le respect des droits de l'individu: pour l'Union des organisations islamiques de France (UOIF) comme pour Tariq Ramadan, tout Français issu de l'immigration maghrébine est supposé rester sous l'emprise d'une culture religieuse immuable qu'ils prétendent représenter et régenter. Comme si les origines primaient sur le libre arbitre, ainsi que l'a concédé l'Etat en tolérant que l'UOIF refuse de reconnaître le droit de changer de religion parce que le Coran punit les apostats. Une complicité officielle encourage cette «biologisation» du fait culturel religieux (symbolisée par l'absurde néologisme «racisme antimusulman»), qui favorise une société fonctionnant de plus en plus selon des critères communautaires et incitant chacun à décliner son origine, sa religion. C'est Nicolas Sarkozy qui, mettant en place le CFCM, considère qu'il représente «5 millions de musulmans», parce qu'il fait la même assimilation que Tariq Ramadan entre «immigrés» et «musulmans», au mépris de la liberté de conscience et au détriment de la majorité de musulmans qui veulent l'être discrètement, comme tant de juifs et de chrétiens: plus de la moitié des Français d'origine algérienne déclarent ainsi ne pas avoir de religion ou ne pas être pratiquants.

A l'encontre de tous les principes républicains, le ministre de l'Intérieur annonce ainsi la nomination de «préfets musulmans» (et pourquoi pas de préfètes musulmanes?...) dans une administration qui exigeait jusqu'alors la neutralité de ses fonctionnaires, recrutés au mérite. Mais c'est aussi Fabienne Keller, maire de Strasbourg, qui demande aux responsables musulmans de lutter contre la délinquance dans les quartiers difficiles en invoquant leur «influence» sur les populations qu'ils côtoient. C'est la secrétaire médicale qui croit bien faire en rappelant une patiente au nom oriental pour annuler un rendez-vous à l'hôpital, car ce jour-là il n'y aura qu'un médecin homme. C'est cet homme d'affaires poursuivi en justice qui veut récuser une magistrate, supposée juive par son nom, parce que lui est de «confession musulmane». Ce sont ces associations féministes qui se mobilisent pour la parité et contre les offenses faites aux femmes célèbres, mais ne se sentent pas concernées par le sort de dizaines de milliers de femmes mariées de force, mutilées, répudiées, parce qu'elles «relèvent» d'une autre «culture». C'est l'employée de cantine scolaire qui dissuade un enfant de prendre du porc, alors qu'il en mange chez lui. Parce que, comme le ministre de l'Intérieur, qui considère aujourd'hui que «l'islam, cela se voit sur la figure», elle finit par être convaincue que la religion n'est pas un choix mais une affaire de faciès.

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